Jean-Bernard Pouy est au polar français ce que le Théâtre Antique est à Vaison-la-Romaine : un monument historique. Il est aussi un excellent moyen de savoir si l'on aime vraiment le roman noir (ne pas aimer Pouy est improbable) : il suffit de compter le nombre de livres que l'on possède de l'auteur dans sa bibliothèque. A partir d'une trentaine, on est rassuré. Depuis son célèbre Spinoza encule Hegel paru en 1983, une centaine d'ouvrages ont vu le jour (romans, nouvelles, essais, théâtre, scénarii de BD, anthologies ...).
"On m'a forcé à écrire. Je devais de l'argent à un copain, que je ne pouvais pas rembourser et comme par hasard, il était directeur de collection. Donc, voilà c'est Mosconi. Quelqu'un de très important, c'est lui qui a lancé Fajardie et tout ça. C'est-à-dire c'est lui qui a lancé le néo-polar français dans les années 80 et qui a fait écrire en premier Fajardie, Jonquet, Raynal, moi et comme je lui devais du pognon, il m'a dit, écris-moi un bouquin, comme ça, je ne te paie pas et tu me rembourseras par la même occasion. Il était lui-même éditeur. J'avais déjà écrit Spinoza encule Hegel , mais ce n'est pas vraiment un polar. C'était un truc que j'ai fait au lycée ... Je faisais tout à fait autre chose moi, je faisais de la peinture. Donc, du jour au lendemain, je me suis trouvé à écrire des romans, écrire de la fiction et comme il était directeur de fiction dans une collection polar, il m'a demandé d'écrire un polar. Si j'étais tombé sur quelqu'un qui faisait de la littérature érotique ou de la science fiction, j'aurais dû essayer de faire ça."
Jean-Bernard Pouy est un touche-à-tout de génie, un auteur inclassable et prolifique, un amoureux de la langue de Molière, adepte de l'Oulipo, s'imposant en permanence des contraintes formelles et narratives dont les trois recueils de nouvelles écrits avec son complice Marc Villard, Ping-pong, 2005, Tohu-bohu, 2008 et Zigzag, 2010, sont un brillant exemple (voir article consacré à Marc Villard). Fervent défenseur du Roman Noir et de la littérature populaire, Jean-Bernard est un passionné de trains (son père était chef de gare), mettant à maintes reprises le monde ferroviaire en toile de fond de ses récits (La vie duraille, 1985, avec Daniel Pennac et Patrick Raynal, L'homme à l'oreille croquée, 1987 ou Train perdu wagon mort, 2003)
L'auteur est un des piliers de la Série Noire dans laquelle il publiera, outre Les roubignoles du destin en 2001 (douze nouvelles), dix romans tels que Nous avons brûlé une sainte (1984, où nous retrouvons une Jeanne d'Arc métamorphosée en héroïne d'extrême gauche), Suzanne et les ringards (1985), La clef des mensonges (1988), La belle de Fontenay (1992, Trophée 813 en 1992 et Prix Mystère de la Critique en 1993, l'histoire d'un vieil anarchiste espagnol, passionné de jardinage, accusé du meurtre d'une adolescente), Larchmütz 5632 (1999, Prix Michel-Lebrun la même année, Larchmütz 5632 n'est autre que le matricule de Momone, une vache télépathe qui porte un regard pas si bovin que ça sur le monde qui l'entoure), H4blues (2003) ou Le Rouge et le vert (2005).
Jean-Bernard Pouy est aussi le créateur de nombreuses collections. On lui doit notamment la paternité de Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe en 1995 (en collaboration avec Serge Quadruppani et Patrick Raynal), dont il a écrit la première aventure (La petite écuyère a cafté, Grand Prix Paul-Féval de littérature populaire en 1996) d'une série qui en compte près de trois cents. En 2000, l'auteur inaugure celle de Pierre de Gondol, le plus petit libraire de Paris, avec le fameux 1280 âmes. Un de ses clients, qui vient de lire le chef-d'oeuvre de Thompson, se demande (et tous les admirateurs du maître américain avec lui) ce que sont devenues les cinq âmes envolées entre la parution aux Etats-Unis de Pop. 1280, et sa traduction dans la Série Noire sous le titre 1275 âmes. Le libraire enquête et nous apporte enfin la réponse : jubilatoire. Avec la disparition du format de poche de la Série Noire, Jean-Bernard crée en hommage à celle-ci La suite Noire (2006) aux éditions La Branche au sein de laquelle il signera le numéro 5, Le petit bluff de l'alcootest.
Le monument Pouy rejoindra en avril Marc Villard pour une partie de ping-pong qui s'annonce déjà mémorable.